West Coast est une “manière de fantasmer le passage de l’enfance à l’adolescence” selon son réalisateur

Entretien avec Benjamin Weill au sujet de sa première réalisation, West Coast, film sur l’adolescence, le passage à l’âge adulte… et les bretons amateurs de rap !

Sortant ce mercredi dans les salles, West Coast raconte la façon dont des jeunes bretons, dont Copkiller et ses potes amateurs de rap “gangsta” (mouvement hip-hop influencé par le milieu du gangsterisme), vont vouloir se venger d’une humiliation, ce qui va les conduire à vivre d’étonnantes aventures… Et les faire grandir.

AlloCiné a pu s’entretenir avec Benjamin Weill, metteur en scène du film, qui signe son premier long métrage, mais qui a déjà une longue filmographie en tant que monteur (lire ci-dessous).

 

West Coast est un film d’adolescents. Comment vous est venue l’envie d’écrire sur l’émancipation collective de ces quatre collégiens de Bretagne ?

Cette envie m’est venue de la grande nostalgie que je ressens lorsque je me remémore mes premiers souvenirs “d’émancipation”. Je ne devais pas avoir plus de douze ou treize ans lorsque mes parents m’ont enfin autorisé à ressortir après le diner. C’était en été, le soleil n’était pas encore couché, nous étions 3 ou 4 copains assis sur un banc à raconter des bêtises… Nous devions rentrer à 21h30 grand maximum, mais nous avions l’impression d’avoir fait les 400 coups au cours d’une folle nuit blanche. Le fantasme de pouvoir tout faire, de tenter des choses, de vivre de nouvelles aventures était si fort qu’il m’a définitivement marqué. Nous n’étions au final que des pré-ado somme toute assez sages, mais dans nos esprits nous avions le sentiment de braver les interdits les plus fous. C’est ce grand sentiment de liberté et d’euphorie que je souhaitais véhiculer dans West Coast. (…)C’est une manière de fantasmer une nouvelle fois le passage de l’enfance à l’adolescence.

Vous avez débuté le métier du cinéma comme monteur. Vous avez beaucoup travaillé avec Kim Chapiron (“Sheitan”, “Dog Pound”, “La Crème de la Crème”) et Fred Cavayé (“Pour elle”, “A bout portant”, “Mea Culpa”). Comment s’adapte-t-on au regard de réalisateurs ayant chacun leur vision ?

L’adaptation se fait très naturellement. Un réalisateur lorsqu’il tourne son film, imprime littéralement sa “touch” dans chaque plan, chaque instant qu’il va immortaliser. Un monteur lorsqu’il reçoit les rushes (une centaine d’heures tournées) va les regarder, les disséquer, les ausculter à plusieurs reprises pour peu à peu rentrer dans l’univers, le type d’humour, le rythme, le décalage, le second degré, la singularité, bref : la marque de fabrique de chaque réalisateur. Le côté “éponge” du monteur s’opère tout à fait naturellement, car les images et les sons s’imposent d’eux-mêmes.

Je me souviens d’une fois où j’étais en train de monter un film de Fred Cavayé et je me rendais le soir à l’avant-première d’un film que j’adore : Notre Jour viendra de Romain Gavras. La projection se lance et là : horreur : J’ai le sentiment que le montage est très très lent. Il ne l’était absolument pas, il avait juste le rythme que Romain Gavras avait véhiculé en tournant son film. Mais comme j’étais en plein montage d’un film d’action, tout à coup tout me paraissait lent. Très vite au cours de la projection, le rythme du film s’est imposé, je suis rentré à nouveau dedans, et j’ai passé une excellente soirée. Bref, je pense que si un monteur “tord” trop la matière (les rushes) pour y imprimer sa patte, il risque la plupart du temps de trahir le film. Je suis persuadé que la force des univers des réalisateurs avec qui j’ai eu la chance de travailler a toujours rendu logique et naturelle mon adaptation.

En tant que monteur, comment adapte-t-on sa vision propre à celle d’un cinéaste ?

Je pense qu’en tant que monteur on ne doit pas confronter “SA” vision à celle d’un cinéaste. On doit se fondre, pénétrer, s’imprégner, s’immiscer dans la vision d’un metteur en scène. Je ne dis pas que les monteurs doivent être les “Yes man” des réalisateurs ! Bien au contraire nous avons l’obligation de les secouer, de les embêter, de les pousser dans leurs derniers retranchements, parfois même au risque de se mettre en danger en tant que monteur. Mais cette dialectique, ce ping-pong -parfois ce combat- ne peut bien se passer qu’à partir du moment où le monteur a compris ce que voulait faire un réalisateur.

Les monteurs sont des partenaires tout à fait particuliers… nous sommes dans la même pièce parfois 1 an seul avec les réalisateurs. Si nous devions imposer notre vision je ne pense pas qu’on obtiendrait de bons résultats. Nous devons avant toute chose être accueillis par le metteur en scène dans son univers, pour pouvoir mieux le “titiller” par la suite.

Vous vous souvenez de difficultés rencontrées avec certains metteurs en scène ?

Des difficultés selon moi, il y en a à chaque film. Nous connaissons toujours différentes phases au cours d’un montage : euphorie, doutes, colère contre l’extérieur, re-doute, sentiment de puissance, et re-re-doute… Bref, Le montage est fort en émotion car le film arrive peu à peu à maturité. Au cours de cette “maturation”, l’ambiance peut parfois se tendre un peu. Je vous parlais de cette mission parfois que l’on se donne de titiller, de provoquer, de pousser le réalisateur pour obtenir le meilleur résultat… Eh bien sur Mea Culpa de Fred Cavayé, je suis certainement allé un peu trop loin -pardon Fred- dans cette “mission”. Résultat : Fred ne m’a pas demandé de monter son dernier film. Voilà l’un des risques du métier de monteur.

Pour “West Coast”, vous n’avez  pas signé le montage, et fait appel à une monteuse, Flora Volpelière. Comment s’est déroulée votre collaboration “entre monteurs” ?

Parfaitement ! Flora a été mon assistante pendant 6 ou 7 ans avant notre collaboration sur West Coast. Lorsque je montais les films, j’ai toujours montré à Flora les premiers jets de montage de chaque séquence sur laquelle je travaillais, et elle se montrait sans pitié avec moi ! Je boudais parfois, et lui demandait de “retourner dans sa chambre”, mais elle avait raison. Elle soulevait tout le temps les véritables faiblesses des premiers assemblages. Flora était donc déjà en quelque sorte la monteuse, mais je ne le disais pas aux réalisateurs pour garder mon travail (rires). Notre collaboration s’est donc déroulée non pas entre monteurs mais je l’espère vivement de monteuse à jeune réalisateur… et Flora a su garder sa férocité et sa “sans concession” attitude.

L’idée de tourner un premier film est-elle venue du souhait d’être maître de la conception projet “West Coast” ?

Non. J’ai d’abord eu l’idée de ce film sans penser tout à fait à le réaliser. Et puis l’écriture prend tellement de temps que je me suis attaché peu à peu à cette histoire, au point de ne plus vouloir la confier à quelqu’un d’autre. Ce n’est pas le désir d’avoir plus de pouvoir qui m’a animé mais plutôt l’envie de voir ce que cela donnerait si j’allais au bout de cette idée. C’est donc plus la curiosité qui m’a poussé que le désir de “contrôler”. Il est extrêmement enrichissant de découvrir la totalité de la chaîne de fabrication d’un film, de l’écriture à la promotion. J’étais très très loin de me douter de tout ce que j’allais traverser de nouveaux, de difficiles et d’excitants lorsque j’étais bien à l’abri dans ma salle de montage.

Pourquoi le choix de tourner en Bretagne, et dans le Morbihan en particulier ?

Les personnages se prennent pour des rappeurs gangstas de la côte ouest américaine. Il était donc tout à fait logique qu’ils devaient habiter sur la côte ouest… bretonne. La Bretagne et le Morbihan offrent des décors incroyablement cinématographiques. Il était important pour moi que les décors évoluent au cours de ce road trip. Les personnages devaient partir d’une Bretagne assez sauvage pour aller vers une station balnéaire plus calme et chaleureuse.

Pour moi, les décors devaient traduire leur état d’esprit. Ils sont dans la tourmente au début du film (car humiliés), dans une explosion de sentiments qui vont dans tous les sens (…) pour aller peu à peu vers une forme de maturité et de calme… Ils acceptent que leur meilleur pote les quitte l’année prochaine. Leur enfance s’éloigne inexorablement et ils auront désormais compris qu’ils n’y pouvaient rien. La Bretagne et le Morbihan offrent la possibilité de transposer ces sentiments (la côte sauvage, les petits villages comme Baud, Ploemel, Quiberon, Saint-Pierre Quiberon, Locmariaquer…) tout en créant un univers fort et très graphique.

Quelles sont les 3 comédies d’ado qui ont marqué votre parcours de cinéphile et/ou ont été des influences pour “West Coast” ?

La première est Stand By Me de Rob Reiner. J’ai vu ce film à 15 puis 25 puis 40 ans… Et j’ai pleuré à chaque fois ! Peut-être pas au même moment du film, mais à chaque fois quand même. C’est pour moi un film référence car il parvient à toucher au plus près ce fameux sentiment de nostalgie lorsque l’on se remémore notre enfance. Le film est d’ailleurs construit en flashback. Le personnage principal est adulte (avec enfants) et un article dans un journal le fait partir dans ses souvenirs… et particulièrement dans le souvenir de la plus belle aventure de son enfance. L’émotion que dégage le film est très forte car il s’agit de revivre une aventure avec un groupe de gamins et l’on sait qu’aujourd’hui le leader de la bande vient de mourir.

Ce film est pour moi le plus abouti et le plus puissant dans cet envie de nous faire passer une heure et demi dans la peau de pré-ados. Nous sommes complètement à leur hauteur et nous vivons au premier degré leur aventure. C’est la grande force de ce film, le premier degré : pas un seul moment on ne se moque de ces personnages. On vit avec eux les moments d’angoisse, de stress, d’amitié. C’est ce que je souhaitais atteindre dans West Coast : une profonde amitié et une grande aventure, abordée au premier degré. Même les adultes dans West Coast sont restés de grands enfants.

Superbad [SuperGrave en vf, NdlR] est également une référence pour sa folie et son excentricité. Ce film se permet tellement de politiquement incorrect sans jamais tomber selon moi dans la vulgarité. Le rythme est incroyable. C’est un film hyper créatif qui cherche sans cesse à prendre des contre-pieds, et toujours dans l’objectif de dépeindre une très forte amitié.

Dans West Coast, je voulais tenter ce genre de “folies”… comme par exemple une bataille de pistolet à eau avec des dealers locaux… au ralenti. Si j’utilise cet effet, cet artifice, ce n’est pas pour jouer au malin ou pour attirer gratuitement l’attention : c’est avant tout pour vivre la séquence avec le personnage. Les protagonistes de West Coast se rêvent rappeurs gangsta, alors pour la première fois où ils se retrouvent en pleine baston avec des dealers, même aux pistolets à eau, ils vivent la séquence (…) à FOND, et entendent la musique de leur rêve, tout en voyant eux même tomber leurs adversaires au ralenti… Comme dans tous les clips de rap dont ils s’abreuvent.

Enfin, les films de John Hughes (La Folle journée de Ferris Bueller, Breakfast Club, Seize bougies pour Sam) sont également des références pour moi car ils réussissent à nous faire goûter à la folie, à l’originalité, à l’énergie de l’âge des protagonistes. Ce sont des films qui nous donnent à nouveau l’envie d’être des enfants incontrôlables. En somme ils nous font rajeunir ! Enfin il y a aussi Adventureland de Greg Mottola, Napoléon Dynamite de Jared Hess, les séries Wonder Years, Freaks and Geeks… Autant d’oeuvres qui parviennent à flirter avec la réalité, tout en nous transportant dans des aventures auxquelles nous rêvons encore et toujours. Et ce, même si nous sommes désormais des adultes de 40 ans !

 

Faites-vous une idée sur “West Coast” en découvrant sa bande-annonce :

West Coast Bande-annonce VF

  

Propos recueillis par mail le 22 avril 2016.