Paris : Moins de faillites de commerces mais des boutiques aux portes closes, comment expliquer ce paradoxe ?

Une étude de la Facap (Fédération des associations de commerçants et artisans parisiens) alerte sur la forte baisse du chiffre d’affaires des commerçants dans les quartiers touristiques.Cette baisse du chiffre d’affaires s’accompagne-t-elle de fermetures de boutiques en masse, comme le suggèrent plusieurs fédérations de commerçants ? Pas forcément.Selon le baromètre du tribunal de commerce de Paris du premier trimestre, le stock d’entreprises est même en hausse de 5,6 % par rapport à l’année dernière. Et les commerces les plus touchés (secteur de l’habillement) le seraient davantage par la hausse continue sur plusieurs années du e-commerce que par la crise du Covid.
 

Quand on se balade sur la rue de Rivoli ou rue de Rennes, de grosses artères commerçantes de la capitale, on en voit quelques-unes : « A louer, commerce, 1.706 m2 », « location pure flagship »… Plus loin, sur la devanture d’une boutique de change, la fermeture est partielle seulement : « disponible sur rendez-vous », avec un numéro de téléphone. A Paris, commerçants et commerçantes le craignent, et les fédérations qui les représentent alertent haut et fort : si les aides de l’Etat ne sont pas maintenues et si la crise sanitaire perdure, nombre de boutiques risquent de fermer leurs portes, disent-elle, et la situation commencerait déjà à se voir dans les quartiers les plus touristiques, désertés cette année par les visiteurs et visiteuses étrangères. Mais qu’en est-il vraiment ?

Une étude a récemment sonné l’alarme, celle de la Facap, la Fédération des associations de commerçants et artisans parisiens. Selon cette étude parue en juillet, le chiffre d’affaires des commerçants parisiens s’effondre en juin 2021 de 21 %, par rapport à juin 2019, tandis que le reste de la France se maintient (-1 %). La baisse du chiffre d’affaires atteint le plus fortement les Champs-Elysées (-39 %), les quartiers de Saint-Germain et Saint-Michel (-28 %), Rivoli/Forum des Halles (-21 %) et le Marais (-25 %).

Rue de Rivoli, certains commerçants confirment une baisse. Nicky, qui travaille depuis cinq ans pour la chaîne Parfois, a pu observer entre 15 % et 20 % de baisse de chiffre d’affaires à la boutique de Rivoli ou aux Halles, ces derniers mois. A Mango, une manageuse nous confie avoir observé une chute de 20 à 30 % cette année.

Les magasins de vêtements et chaussures les plus touchés

Mais cette baisse du chiffre d’affaires constatée dans certains arrondissements très touristiques se traduit-elle par des fermetures en masse de commerces, comme le pointent certaines associations de commerçants ? Pas forcément, selon les études les plus complètes sur le sujet. Le baromètre du tribunal de commerce de Paris du premier trimestre établit par exemple que le stock d’entreprises actives inscrites au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) de Paris est même en hausse de 5,6 % par rapport au 1er trimestre 2020. Résultat des politiques actives de soutien de l’Etat à l’activité économique, le nombre de jugements d’ouverture de liquidations judiciaires a diminué (- 12 %), de même que les redressements judiciaires. Selon une autre étude de la Chambre de commerce et d’industrie Paris Ile-de-France sur le bilan des soldes, seuls 9 % des commerçants disent envisager de mettre fin à leur activité. Loin d’un raz-de-marée.

Certes, le baromètre du tribunal de commerce de Paris ne cible pas les commerçants spécifiquement et encore moins les quartiers touristiques, mais d’autres études se veulent rassurantes, et montrent plutôt que la baisse du nombre de commerces à Paris est une tendance de fond, davantage liée au e-commerce par exemple qu’au Covid. Celle de l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme), réalisée entre le 1er et le 29 octobre 2020, montre une légère baisse du nombre de commerces à Paris depuis 2017 (1.164 établissements de moins pour plus de 61.500 commerces), avec un taux de vacance passant de 9,3 % à 10,5 %. Les commerces de détail les plus touchés sont de loin les magasins d’équipement de la personne (habillement, chaussures, bijouterie) qui ont diminué de 13 %, le nombre de magasins de chaussures ayant même diminué de 23 %. A l’opposé, les magasins bio font une percée remarquable.

Bombe à retardement ?

Pourtant, quand on se balade du côté de certains quartiers, le quidam peut avoir l’impression d’observer des fermetures plus nombreuses ces derniers mois, avec un « effet Covid ». Rue de Rivoli, où les affiches de location étaient jadis inexistantes, certaines ont fleuri ces derniers mois, constate Nabilla, gérante de trois boutiques Nos – dont une dans cette rue. Comme d’autres, Thierry Veron pointe les fermetures de boutiques indépendantes « rue de Rennes, ou vers Haussmann », qu’on ne verra dans les chiffres selon lui qu’à partir de la mi-septembre. Patrick Aboukrat, du comité Marais Paris, a observé rue des Francs-Bourgeois jusqu’à « cinq ou six panneaux de boutiques à louer » dernièrement.

Difficile d’exclure que des magasins ne ferment dans les mois à venir, et qu’une partie des boutiques fermées à Paris ne soient des boutiques qui n’ont pas encore été liquidées administrativement. « On peut avoir des commerces qui n’ouvrent pas avec des salariés qui ne sont pas encore licenciés car ils perçoivent des indemnités de chômage partiel », explique Mustapha Touahir, directeur adjoint de l’Insee Île-de-France. De fait, si l’on analyse les heures travaillées, la région qui connaît la plus importante baisse de l’activité tous secteurs confondus est l’Île-de-France, et au sein de celle-ci, le département le plus touché est Paris, constate l’Insee. « Dans la période actuelle où certaines entreprises sont sous perfusion, on n’est pas encore capable de dire si elles vont rendre l’âme ou pas. Nous n’avons pas le fin mot de l’histoire », estime le directeur.

Baisse du tourisme et télétravail

La crise du Covid a effectivement privé Paris d’une grosse partie de ses touristes. « Notre clientèle de touristes étrangers n’est pas là », se plaint Thierry Veron, le président de la FACAP. 73 % des commerçants n’ont effectivement pas vu de touristes dans leur magasin pendant les soldes, selon une étude de la CCI de Paris Ile-de-France. Pour seulement 8 % des commerces, la part des dépenses des touristes représente plus de 40 % de leur chiffre d’affaires pendant les soldes, en 2019 c’était le cas pour 22 % des commerces.

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Le télétravail aussi joue sur la fréquentation de l’hypercentre parisien. « Si les grandes métropoles demeurent le moteur de l’économie, la dissociation entre lieu de travail et lieu de vie leur fera perdre une partie de la consommation. Celle-ci sera, davantage que par le passé, captée par les magasins proches des lieux d’habitation qui, rappelons-le, ne sont pas tous situés dans les centres-villes, loin de là », estimait par exemple en juillet Procos, la Fédération pour le développement du commerce spécialisé

Circulation, « gilets jaunes » et e-commerce

D’autres facteurs de long terme entrent aussi en ligne de compte. Le président de la Facap se plaint par exemple des politiques de transformation de la circulation de la Mairie de Paris : « Les Franciliens n’osent plus venir à Paris, car c’est difficile pour eux de venir et de stationner. Si on ne leur donne pas la possibilité de stationner ils ne viendront plus. Beaugrenelle par exemple est sinistré ». Responsable des affaires économiques chez Alliance du commerce, Guillaume Simonin abonde : « Les aménagements de la circulation de la Ville de Paris sont arrivés au mauvais moment et n’ont pas contribué à améliorer la situation ». « On va réduire à 30 km/h et ça va être la guerre », râle aussi Patrick Aboukrat, du comité Marais Paris, en se demandant s’il ne va pas « jeter l’éponge ». « Tout est fait pour rajouter des obstacles à une zone de chalandise qui se réduit, et la commercialité de nos fonds de commerce se réduit », ajoute-t-il.

Pour Nabilla, gérante de Nos et directrice régionale de la marque Delaveine, la crise est multifactorielle. S’agissant de la rue de Rivoli, elle constate que « la dégringolade a commencé quand les travaux de rénovation de la rue ont commencé, avec la réduction des voies de circulation pour les voitures. Puis il y a eu les « gilets jaunes », qui ont causé 60 % de pertes à Delaveine, et les grèves de décembre 2019. Avant même la fermeture des boutiques à cause du covid, l’ambiance était catastrophique ». « Si les aides de l’Etat n’avaient pas été là pendant la crise du Covid, on n’aurait pas tenu », lâche la gérante, tout en notant tout de même une amélioration de la fréquentation depuis l’ouverture de la Samaritaine.

Francois Mohrt, chargé d’études et coauteur de l’étude de l’Apur citée plus haut, confirme : « La rue de Rivoli connaît des difficultés depuis le départ de la Samaritaine, et rue de Rennes, cela fait longtemps, près de dix ans, que les commerces diminuent. » Autrement dit, pour le cabinet d’études, le Covid ne joue sans doute qu’à la marge dans les fermetures récentes. Mais au-dessus des facteurs liés à la mobilité, aux “gilets jaunes” ou aux grèves, ce sont davantage les transformations liées au e-commerce qui sont pointées par le cabinet d’études, comme l’explique Stéphanie Jankel, sa directrice des études : « Elles sont probablement de nature à impacter plus le commerce que le Covid lui-même. »

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