Notre petite soeur: pour Hirokazu Koreeda, il faut regarder “ce qui manque dans une famille pour la comprendre”

Notre petite soeur, le nouveau film du maître japonais Hirokazu Koreeda, sort ce mercredi en France après sa présentation en compétition officielle au Festival de Cannes 2015. Rencontre avec un cinéaste dont la thématique majeure est la famille…

AlloCine : Avec “Notre petite soeur”, comme avant dans “Tel père, tel fils” ou “Still Walking”, vous explorez à nouveau la thématique familiale. Un thème majeur de votre cinéma…

Hirokazu Koreeda : A vrai dire les films que je réalisais avant de perdre mes parents, du temps où j’étais encore un fils, ne sont pas les mêmes que ceux que je réalise aujourd’hui. Maintenant que j’ai perdu mes parents et que je suis moi-même devenu père, j’écris instinctivement tous mes films de ce point de vue, celui du père. J’imagine que lorsque je serai grand-père, mon regard évoluera à nouveau et j’écrirai différemment. En tout cas le parallèle qui peut exister entre ma vie personnelle et mes films est très intéressant et enrichissant. Je ne peux pas me lasser d’explorer cette thématique familiale d’une certaine façon.

La thématique familiale est souvent abordé par l’angle de l’absence. Déséquilibrer la famille est-elle la meilleure manière de l’étudier ?

Je vais vous raconter une anecdote pour illustrer ma réponse. Je travaillais autrefois avec un chef décorateur et pour les besoins d’un tournage, il faisait des repérages dans des temples. Sur les lieux, il regardait tout ce qui manquait, ce qui avait disparu. Cela lui permettait notamment de comprendre comment les choses étaient structurées ou comment elles avaient été bâties. Il expliquait toujours à son équipe que pour trouver un bon décor, il fallait commencer par regarder ce qui manquait ou quelles étaient ses lacunes. On peut faire le même parallèle avec la famille et ses manques. On ne prend pas forcément conscience du rôle de certaines personnes avant qu’ils aient disparu. Moi-même avant la disparition de mon père, je n’avais jamais vraiment réfléchi à qui il était et à ce que cela signifiait d’être père.

Le parallèle qui peut exister entre ma vie personnelle et mes films est très intéressant et enrichissant.

Pour clore la thématique familiale, ce qui vous intéresse aussi c’est la manière dont la famille se reconstruit. Après le déséquilibre, c’est la période du rééquilibre…

Ce qui est écrit dans Notre petite soeur n’a rien d’exceptionnel au fond. A partir du moment où quelqu’un manque, la fonction ou la place qu’il occupait est plus ou moins rempli ou quelqu’un d’autre. Quand mon père est mort, j’ai plus ou moins rempli son rôle. Quand je disparaitrai, quelqu’un d’autre prendra ma place. Ce concept de transmission est capital. Pour ce film, il y avait aussi l’idée que dans cette maison se sont succédées des générations. Le temps s’y écoulait déjà avant que ces quatre filles ne naissent et il continuera à s’écouler après leur départ.

Un élément marque justement cette idée de temps et de transmission : l’arbre fruitier dans le jardin permet aux filles de concocter la liqueur. Leur mère connaissait déjà cet arbre…

Tout à fait. Cet arbre est l’emblème du temps qui passe.

Votre mère adorait regarder des films. Pour prolonger un peu cette idée de transmission, quels films vous a-t-elle montré ?

Je me souviens avoir regardé Rebecca d’Alfred Hitchcock avec ma mère. Elle aimait beaucoup ce cinéaste et les grandes actrices hollywoodiennes comme Joan Fontaine, l’héroïne de Rebecca, Vivien Leigh ou Ingrid Bergman. Je me souviens également avoir vu Les Oiseaux avec elle mais pour tout vous dire je n’aimais pas tellement regarder des films avec ma mère ! Elle avait la mauvaise habitude de me déflorer l’intrigue et comme c’était quelqu’un d’assez taquin elle le faisait parfois exprès parce que cela m’agaçait ! (Rires)

De tous mes films, “Notre petite soeur” est celui qui se rapproche le plus du cinéma d’Ozu.

On compare souvent votre cinéma à celui d’Ozu, à juste titre. Mais vous avez déclaré vous sentir plus proches de Ken Loach ou de Naruse. En quoi votre cinéma est-il proche d’eux ?

Les personnages des films de Ken Loach et de Mikio Naruse me semblent plus proches de ce que j’essaie de décrire. Ils appartiennent généralement à une classe plus populaire que ceux d’Yasujirô Ozu. De ce point de vue-là, je me sens plus proche des personnages de Loach et Naruse. Les films d’Ozu respectent une certaine esthétique et certains principes. Et en même temps, de tous mes films, Notre petite soeur est celui qui se rapproche le plus du cinéma d’Ozu, en particulier à travers le personnage de Sachi (Haruka Ayase) qui est très droite, avec un port de tête très haut.

Propos recueillis à Paris le 19 octobre 2015 par Thomas Destouches

Notre petite soeur d’Hirokazu Koreeda sort ce mercredi 28 octobre en France :

Notre petite soeur Bande-annonce VO

 

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