Le Père Noël, Papy fait de la Résistance, Les Visiteurs… Jean-Marie Poiré revient sur sa carrière

Invité du 1er Festival CineComedies de Lille en septembre dernier, le réalisateur Jean-Marie Poiré est revenu sur sa carrière, de sa collaboration avec Josiane Balasko et le Splendid au travail avec Jean Reno.

AlloCiné : Vous avez débuté votre carrière en tournant ce qu’on appelait les “Actualités Gaumont” puis vous avez été assistant réalisateur notamment pour Claude Autant-Lara entre autres. Comment décririez-vous le jeune assistant que vous étiez à cette époque ?

Jean-Marie Poiré : Oh, j’étais un assistant qui se donnait beaucoup de mal. J’adorais le cinéma, c’était une chance formidable. En même temps, je pense que je n’étais pas un bon assistant car je ne peux pas dire que l’organisation soit mon fort… Je suis bordélique comme personne. Mais j’ai rencontré des tas de gens avec beaucoup de talent et d’apprendre à la fois de ce qui m’épatait mais aussi de ce que je ne trouvais pas bien. Ceci dit, pour vous dire la vérité, je ne pensais pas faire du cinéma mon métier car je voulais être photographe. C’est plus le cinéma qui m’a choisi. Mais comme je suis passionné par l’existence, que j’aime la vie, quand je fais quelque chose je le fais bien. (…) Et j’ai vécu des expériences formidables.

Parmi ces premières expériences, il y a le moment où vous vous essayez à l’écriture, notamment plusieurs scénarios à partir de propositions de Michel Audiard.

C’est venu un peu après car ça ne marchait pas assez en tant que photographe, je faisais des clichés trop tristes. (…) C’est une directrice d’un journal de mode qui m’a dit “vous avez un talent fou Jean-Marie, vos photos sont sublimes mais elles sont trop tristes et vous devriez faire du cinéma”. (…) Et je n’ai fait ensuite que des films marrants. C’est une forme de schizophrénie. Mais je n’ai jamais su pourquoi Michel Audiard a voulu que j’écrive avec lui. Je crois que c’est parce que l’on s’était rencontré et qu’on avait parlé littérature. Je lisais beaucoup étant jeune et ça l’avait épaté. Et parmi mes livres préférés, beaucoup étaient des livres d’amis à lui, en particulier Blondin.

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C’est d’autant plus cocasse que j’avais pris la décision peu avant que je ne ferai plus aucun film comme assistant, je préférais mourir de faim (…). Audiard m’a appelé et je me disais “il faut que j’ai le courage de lui dire que je ne veux plus être assistant” et il m’a proposé d’écrire. J’étais stupéfait. Mais l’histoire est un peu moins conte de fées car une fois arrivé je me suis aperçu que nous étions six ! Donc il ne prenait pas beaucoup de risques !

Et qu’est-ce qui vous a fait franchir le pas de la réalisation si vous ne vouliez plus être assistant ?

J’ai écrit des scénarios de films à succès [parmi eux les deux derniers Septième Compagnie, NdlR], donc j’avais énormément de propositions de films. Il se trouve que j’avais écrit Les Petits câlins et que j’étais avec un producteur qui me dit “j’ai besoin d’un coproducteur”. Il l’a trouvé avec mon père [le producteur Alain Poiré, NdlR] et on s’est demandés qui pouvait mettre en scène le film. Les gens importants ne voulaient pas et on a commencé à parler des assistants qui pourraient avec ça faire leur premier film. Mais ça m’a un peu gonflé et j’ai dit “on est en train de chercher des gens qui vont faire leur premier film sans savoir s’ils sont capables, j’ai signé un certain nombre scénarios dont certains ont été des succès” et j’ai proposé de mettre en scène Les Petits câlins. Et c’est ce qui s’est passé.

C’est un film des plus importants parce que vous y rencontrez Josiane Balasko, qui va être très importante dans votre carrière.

C’est capital, car elle devient mon amie et je trouve qu’elle est très drôle. J’adore le Splendid, je les vois au théâtre dans Amour, coquillages et crustacés, je trouve qu’ils ont beaucoup de talent et je demande [à Josiane Balasko] d’écrire pour moi. Je devais faire un film de Georges Lautner, je lui avais vendu un scénario avec Victor Lanoux qui s’appelait Retour en force. J’ai réussi à la convaincre de l’écrire avec moi. Mais Lautner m’appelle et me dit “Belmondo me propose de tourner avec lui, je ne peux pas refuser, c’est la chance d’une vie” et on se retrouve dans le même cas de figure : on se demande qui va mettre en scène. On cherche, on évoque les assistants qui pourraient faire leur premier film… Mais ce coup-ci, je ne ramène pas ma fraise car Les Petits câlins n’ont pas été un gros succès. Ça n’a pas été un échec financier car ça n’avait quasiment rien coûté -c’est le film le moins cher de l’Histoire de Gaumont, quasi underground. (…) Donc je ne parle pas de moi mais c’est Victor Lanoux qui m’impose : “il a fait un film qui n’a pas marché mais qui est formidablement mis en scène, c’est lui qui a écrit le scénario et j’ai envie que ce soit lui”.

J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie car les gens m’ont fait énormément de cadeaux. Audiard m’a donné la chance d’écrire, Lautner d’écrire comme dialoguiste, Lanoux de mettre en scène ce film assez important, qui a été un succès. Alors évidemment, la rencontre avec Balasko a été déterminante car de notre amitié est né le premier gros succès de ma vie à l’époque qui était Les Hommes préfèrent les grosses, ça a lancé ma carrière de metteur en scène et ça m’a décidé à continuer de faire du cinéma.

Car pendant mes deux premiers films, je me suis posé des questions métaphysiques sur le cinéma… D’abord parce qu’on se lève très tôt et que je me couche très tard ! Mais quand on écrit des films, on en écrit plus qu’on en tourne. Donc en terme de revenus -ce qui était très important pour moi à l’époque car je n’avais pas un rond et je devais faire vivre ma famille et payer mon loyer- monter un film, le tourner, c’était très long et on n’est pas payé tellement plus que lorsqu’on les écrit. Je voyais qu’Audiard avait une Ferrari, je me disais “Merde !” Peut-être que je rate quelque chose ! (rires)

Mais ça marche pour vous puisqu’après “Les Hommes préfèrent les grosses” (1981) qui fait plus de deux millions d’entrées vous allez être engagé pour “Le Père Noël est une ordure” (1982)…

(Il interrompt) C’était un peu spécial avec Le Père Noël est une ordure, car chaque acteur est venu avec son metteur en scène. C’était une bagarre entre eux, il y avait Philippe Galland [qui avait fait tourner Jugnot dans Le Quart d’heure américain et filmera la pièce de théâtre en 1985, NdlR]…

Patrice Leconte aussi j’imagine, pour sa collaboration avec Michel Blanc ?

Oui, Leconte, et quelques autres, je ne me souviens plus de tout le monde. En plus je n’avais pas eu un très bon rapport avec Yves Rousset-Rouard [actionnaire du Splendid et producteur de cinéma, NdlR]. Un jour, il me dit “écoutez, j’ai produit la pièce, on a déjà trois côtés du décor, il ne reste plus qu’à construire le quatrième”, j’ai répondu “Je crois surtout qu’il faut construire un appartement, si vous ne voulez pas que ce soit lassant visuellement, il faut pouvoir changer de pièces”. D’ailleurs le grand chef opérateur Robert Alazraki a fait un travail remarquable car non seulement je voulais qu’on change de pièce, mais je voulais qu’on n’éclaire pas de la même façon chaque pièce. Je voudrais que certaines pièces soient éclairées comme on le faisait autrefois avec une lumière directe, et d’autres pièces avec une lumière indirecte. (…) Inconsciemment, ça change l’esprit du spectateur, c’est comme si on allait à l’extérieur.

Le film vous fait franchir un cap mais je pense que celui qui vous fait passer à la vitesse supérieure, c’est “Papy fait de la Résistance”, parce qu’il y a aussi un cap de budget.

Oui.

Est-ce qu’à l’époque ce changement d’échelle a représenté une pression supplémentaire pour vous ?

Ce que vous dites est intelligent, mais le problème d’argent sur un film comme dans la vie est toujours le même. A part si vous gagnez à l’EuroMillions et que vous êtes libéré des contingences matérielles, ce qui est rare, ça ne change rien. Car si vous avez un petit budget comme Les Petits câlins, c’est-à-dire des cacahuètes (…), vous avez quand même une somme sur les épaules alors que vous ne valez rien, qu’on ne vous fait pas confiance et chaque fois que vous montez d’un cran, le film est toujours trop cher pour vous. Quand j’ai fait Les Grosses c’était trop cher pour moi, quand j’ai fait Le Père Noël et qu’il y a eu de grosses tensions financières, le Splendid a été génial comme coproducteur car ils m’ont choisi -merci- mais ils m’ont soutenu et adoré le film. Ils ont aussi aimé l’ambiance de déconnade que j’ai mise sur le plateau. La comédie impose aux acteurs de se surpasser et de pouvoir se mettre dans un état de chahut, comme quand on est gamin. Une ambiance tendue ou désagréable sera très préjudiciable à une comédie. Moins dans un drame ou un film de genre. (…)

C’est pour ça que vous avez créé des dynamiques de duo dans vos films ?

Oui, moi j’aime beaucoup mettre une ambiance sur le plateau pour certes que l’on travaille très vite mais pour qu’on ne se prenne surtout pas au sérieux. Par exemple, pendant Le Père Noël, j’avais instauré qu’on ferait un goûter tous les jours. On fermait la porte à la production et c’était un concours de goûter. Tout le monde a pris 12 kilos à la fin du film ! (rires) Mais c’est parce que c’est très important de travailler dans la bonne humeur parce que les gens se libèrent. Il faut aller chercher des choses que les acteurs ont en eux mais qu’ils puissent les sortir. C’est comme si on vous disait “raconte-nous une histoire drôle”, c’est très pénible, t’as les c***lles qui te rentrent dans la gorge ! Par contre, avec un verre dans le nez et après une bonne déconnade, tout le monde va oser raconter ses blagues et si elle n’est pas drôle, on la coupe au montage.

Papy a été un film formidable parce que Christian Fechner était un producteur génial. Dans le film, il y a un chat avec un œil cassé, Romulus. Ce chat n’est pas celui d’origine. Je l’ai trouvé très tard, on avait déjà tourné le film avec un autre chat qui n’était pas terrible. Et c’est ma monteuse [Catherine Kelber, NdlR] qui me dit “j’ai bouffé hier chez des amis et j’ai vu leur chat avec une oreille cassé. Le chat s’était bagarré avec un autre chat, il avait eu honte de perdre et il était allé se cacher dans la forêt donc il a [mal cicatrisé] (…) il faut que tu le vois”. Je vois le chat, je fais un Polaroïd et le lendemain j’avais rendez-vous chez Fechner qui voulait me parler car le film avait du retard et il fallait qu’on allège des choses, qu’on fasse des économies. J’ai dit oui à tout ce qu’il a dit, on a pris des décisions et à la fin je lui dis : “j’aimerais faire des retakes avec le chat” il me dit “tu te fous de ma gueule ! On vient de parler de faire des économies et toi tu veux retourner les scènes du chat” et pendant qu’il me fait la morale, je lui montre le Polaroïd et il se marre ! (…) Il m’a dit “si tu y arrives en un ou deux jours avec une seconde équipe c’est ok pour moi”. C’était un producteur extraordinaire.

Quelques années plus tard, votre film suivant, “Mes Meilleurs amis”, qui est culte aujourd’hui, ne rencontre pas le succès…

(Il interrompt) C’est dommage, c’était mon premier film en tant que producteur !

Qu’est-ce qui s’est passé ?

Je crois que le film était d’un genre différent de ceux auquel le public était habitué. Ce n’est pas suffisant de faire un bon film, il faut aussi qu’il soit attendu par le public à l’endroit où il pense que cela doit être. Je suis allé voir Yehudi Menuhin à l’époque où je savais qu’il ne pouvait plus tenir un archet à cause de l’arthrite. Il s’était recyclé dans la direction d’orchestre et la moitié de la salle a sifflé et s’est levée car elle pensait qu’il jouerait du violon. C’était d’une tristesse terrible. Et bien après le succès de Papy et de Twist Again à Moscou, des films avec du spectacle, très burlesques (…), faire un film en demi-teinte, avec un peu de tristesse…

Mélancolique.

Oui, mélancolique, sur un sujet difficile car c’est un film sur la réussite avec des gens qui n’ont pas réussi. C’est un film que j’aime beaucoup, mais je crois que le public n’attendait pas ça. Peut-être que si j’avais signé d’un autre nom ça aurait marché… Mais je m’en suis rendu compte, car comme le film ne marchait pas j’étais allé dans une salle de banlieue et j’ai vu le public arriver (au début pas mal du monde) en se frottant les mains et se disant “on va voir des conneries” mais il n’y avait pas assez de gags, c’était trop intellectuel. (…) Le film a failli me faire arrêter le cinéma, je me suis recyclé dans le théâtre et la publicité.

Ma dernière question est peut-être attendue mais comment vous expliquez cette alchimie que vous avez contribué à créer entre Jean Reno et Christian Clavier ?

Ça tient beaucoup au scénario. La direction d’acteurs c’est avoir les bons acteurs et le bon scénario. On a eu la chance de tomber sur Jean. Je l’ai toujours fait travailler à l’inverse même de sa tentation de faire de la comédie. Quand il a commencé à jouer une comédie c’était dans Opération Corned Beef, il était drôle et je lui ai dit “Jean, ce qui m’intéresse c’est le héros en toi, le comique, il est au bout du couloir. Plus tu seras héros et plus tu seras sérieux, mieux cette alchimie marchera”. C’est Tom Cruise qui avait dit dans une interview -et ça m’avait beaucoup frappé- en parlant des Visiteurs : “C’est un film qu’on ne fera jamais en Amérique car les notions commerciales de genre sont tellement codifiées qu’on ne peut pas faire à la fois un film épique, dramatique, comique et historique en même temps, il faut choisir ! Et ce qui est génial avec Les Visiteurs, c’est que c’est un film épique qui est à pleurer de rire”.

Pourtant, vous avez fini par faire “Les Visiteurs en Amérique”…

Oui, mais ce n’est pas mon meilleur souvenir.

Oui, mais il a été fait aux Etats-Unis : techniquement, vous avez donné tort à Tom Cruise !

Mais ça n’a pas très bien marché et je n’ai pas beaucoup aimé cette expérience.

 

La bande-annonce très décalée du “Père Noël est une ordure” :

Le Père Noël est une ordure Bande-annonce VF