Le 30 octobre 2015, un incendie se déclenche lors d’un concert rock au Colectiv, une boîte de nuit de Bucarest ( Roumanie). Le drame a fait 64 morts. Parmi ces décès, un grand nombre, dus à des infections nosocomiales – donc contractées lors des hospitalisations – auraient pu être évités. Dans les jours qui ont suivi la tragédie, d’importantes manifestations se sont déroulées, dénonçant la corruption et le bilan humain particulièrement lourd. Cette mobilisation a conduit à la démission du gouvernement du Premier ministre Victor Ponta. Le documentaire L’Affaire Collective, sorti mercredi, relate ces jours et semaines capitales dans l’histoire de la Roumanie contemporaine. Alors que les scandales et les bouleversements politiques se produisaient, Alexander Nanau a suivi le journaliste Catalin Tolontan au cours de ses investigations. L’ensemble, qui a des airs de thriller haletant, estomaque au fur et à mesure des révélations de corruption massive. 20 Minutes a rencontré le réalisateur en octobre 2019 au Festival de La Roche-sur-Yon (Vendée) d’où le documentaire est reparti avec le Prix spécial du jury international. Interview.
Quand et pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans ce documentaire ?
Après l’incendie, il y a eu un tournant dans la société roumaine. Pendant des semaines, on a vu dans les rues les plus grosses manifestations depuis la révolution de décembre 1989. Il était clair qu’un changement était en train d’advenir en Roumanie. Les gens disaient : « On en a assez des politiciens corrompus, on veut changer de classe politique. » Cela devait être raconté d’une certaine manière, mais il fallait trouver une façon de montrer cela dans un documentaire qui observe [«observative documentary »]. C’est le meilleur outil pour intéresser le spectateur au-delà des interviews traditionnelles et de l’explication des choses. De là, on a réfléchi à comment mettre en place cette observation. Quand on a vu qu’un journaliste commençait à enquêter sur le système de santé, parce que toutes ces personnes sont mortes à l’hôpital sans raison, on s’est dit que cela pouvait être un bon point de départ. Cela permet aussi de comprendre le rôle du journalisme dans la société, le journaliste étant le lien entre la population et le pouvoir.
Vous êtes arrivé au bon moment pour filmer cette histoire en marche. Vous attendiez-vous à ce qui allait être révélé ?
Pas du tout. Personne ne s’y attendait. Les journalistes de Gazeta Sporturilor ne nous ont pas laissé filmer depuis le début, ils étaient réticents. Ils ne voulaient pas d’une caméra dans leur salle de rédaction et voulaient protéger leurs salariés, leurs sources, leur travail. Avec mon équipe de recherche, nous étions bien préparés et au bout d’un moment, nous en savions autant que les journalistes. Ils ont fini par nous faire confiance quand ils ont vu à quel point on prenait tout cela au sérieux. Un jour, Catalin Tolontan nous a appelés pour nous dire : « D’accord, essayons ! Nous avons une grosse enquête devant nous, on ne sait pas ce qu’on va trouver, on pense que ce sera énorme. » Cela s’est avéré. Mais il ne voulait pas nous dire précisément de quoi il retournait. Quand nous tournions, nous ne savions pas ce que l’on était en train de filmer. Puis, tout a commencé à aller si vite avec tout ce vortex de révélations sur cette corruption qu’avec le journaliste nous avions juste à prendre la vague des choses incroyables qui arrivaient autour de nous.
Etonnamment, c’est un journal sportif qui a sorti les révélations…
Il existe une presse d’investigation en Roumanie mais cette équipe en particulier autour de Tolontan est, disons, l’une des plus efficaces. Ils sont journalistes sportifs, ils ont commencé à enquêter sur le système de santé après l’incendie. Avant, ils enquêtaient seulement sur le monde sportif. Ils étaient plutôt célèbres parce qu’ils ont exposé des ministres des Sports corrompus qui ont ensuite été condamnés et emprisonnés.
Par moments, le documentaire ressemble à un thriller. Lors du montage, vous avez cherché à créer ou accentuer le suspense ?
Ce que je recherche et ce que je fais, c’est du cinéma-vérité. Mon objectif principal, en ce qui concerne la narration, est de faire en sorte que le spectateur ait la même expérience des choses que moi et que les protagonistes. J’essaye juste de refléter la réalité de sorte que le public l’expérimente comme s’il était à la place des personnages.
Vous changez de point de vue au cours du documentaire en suivant le nouveau ministre de la Santé, Vlad Voiculescu. C’était une évidence de raconter son histoire ?
L’idée est venue naturellement car, après que les journalistes ont fait tomber le ministre de la Santé [Nicolae Banicioiu] et qu’on a montré le combat avec les politiciens, avec le système de santé du côté des journalistes, je me suis dit qu’il serait intéressant de suivre la même histoire d’une perspective opposée. Des rumeurs annonçaient Vlad au poste de ministre de la Santé, disaient qu’il était plutôt indépendant, qu’il pourrait apporter un changement, alors je l’ai appelé pour lui expliquer ce que je voulais faire. Une dizaine de jours après, il était d’accord pour me rencontrer. Il a fait quelque chose de courageux, il savait que c’est en étant transparent qu’il marquerait sa différence des autres et que les gens sauraient qu’il ne fait pas partie du système corrompu.
Le documentaire s’achève en citant la victoire des socio-démocrates en Roumanie. Que s’est-il passé ensuite ?
Le système de santé n’a pas changé parce que les socio-démocrates, qui sont le parti post-communiste, sont l’incarnation de la corruption et de l’incompétence. Tout a empiré. Mais lors de leur exercice de pouvoir, ces trois dernières années, les gens ont compris et il y a eu un changement au sein de la société civile. Aux dernières élections européennes, les jeunes électeurs se sont davantage mobilisés pour voter que les plus âgés, et les gens sont allés voter. Lors de la dernière élection, les sociaux-démocrates ont perdu 25 %. Ils sont sur la fin. Tout le monde a compris qu’ils sont incompétents, illettrés. [En novembre 2019, quelques semaines après cette interview, le gouvernement de la sociale-démocrate Viorica Dancila est renversé par une motion de censure. Il est remplacé par le gouvernement Orban du PNL, le Parti national libéral. Le gouvernement actuel, dirigé par Florian Citu depuis décembre 2020, est une coalition des quatre partis libéraux. Aux scrutins de ces deux dernières années, le Parti social-démocrate a obtenu des scores historiquement faibles.]
« L’Affaire Collective » va sortir en Roumanie, pensez-vous qu’il peut changer les choses ?
Je ne sais pas si un film peut changer la société mais j’attends des gens qu’ils comprennent comment les choses marchent. J’espère que les spectateurs comprendront qu’il faut participer à la vie de la société, qu’il faut voter. Si on accepte la corruption ou qu’on détourne le regard… C’est un peu comme partout en ce moment, on a peur que les populistes arrivent au pouvoir et on comprend qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les choses s’améliorent si on ne participe pas à al société dans laquelle nous vivions. [Le film est sorti en 2020 en Roumanie où il a suscité « l’émotion et la controverse », comme l’explique Courrier international et reste aujourd’hui « au cœur de débats acharnés ».]
Avant d’être présenté à La Roche-sur-Yon, votre film a été sélectionné à ceux de Venise et Toronto. L’accueil est-il différent d’un pays à l’autre ?
Etonnamment, dans tous les pays, le public réagit de la même manière. Il semble que cette histoire n’est pas locale mais qu’elle concerne des peurs que l’on a dans tous les pays. La peur que ceux qui gouvernent ne fassent plus rien au service de la population et qu’ils fassent des choses qui peuvent nous tuer demain. La corruption est un problème majeur partout.
Depuis deux ans, L’Affaire Collective (dont le titre original est Colectiv) éveille l’attention partout où il passe. En France, outre le trophée décerné à La Roche-sur-Yon, il a reçu le Prix de la meilleure photographie lors du dernier Festival des Arcs. En avril dernier, le film concourrait pour l’Oscar du meilleur film international et du meilleur documentaire. Par ailleurs, plusieurs journaux ont fait figurer l’œuvre parmi les meilleurs films de l’année écoulée. En janvier 2021, le président roumain, Klaus Iohannis, a décerné la médaille du Mérite culturel à Alexander Nanau. Le réalisateur l’a refusée en signe de protestation contre « l’indifférence des autorités face aux souffrances du secteur du cinéma roumain », comme le relate Courrier international.
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