De Wonder Woman 1984 à Birds of Prey en passant par le phénomène WandaVision et le retour de Marvel en salle avec Black Widow, les super-héroïnes s’imposent en force sur les écrans. Il était temps ! En effet, il a fallu par exemple 10 ans et 20 films à Marvel Studios pour consacrer un film à une super-héroïne avec Captain Marvel. Sont également d’ores et déjà annoncés les séries She-Hulk, Ms. Marvel ou encore le film Batgirl chez DC Comics. Est-on en train d’assister à un règne des super-héroïnes ?
C’est exactement le sujet, et même le titre, d’un documentaire inédit réalisé par Xavier Fournier et Frédéric Ralière et diffusé lundi à 20h55 sur Toonami – et disponible à la demande. Il faut bien 90 minutes au Règne des super-héroïnes pour revenir sur 80 ans de lutte pour la reconnaissance des femmes, qu’il s’agisse des super-héroïnes elles-mêmes mais aussi des autrices et lectrices qu’elles représentent. Parmi les nombreux intervenants, tous de qualité, une voix retient plus l’attention, celle de Trina Robbins, autrice, militante et historienne de la place des femmes dans les comics. A 82 ans, elle n’a pas sa langue dans sa poche et a donné envie à 20 Minutes de la rencontrer.
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Si Wonder Woman est l’une des premières, et plus célèbres, super-héroïnes, vous aimez rappeler qu’elle est précédée d’une autre, Miss Fury.
Miss Fury est en effet née avant Wonder Woman, ses aventures ont été publiées six mois avant celles de l’Amazone. Elle est une super-héroïne très intéressante, d’abord parce qu’elle est la première créée par une femme, par l’excellente scénariste et dessinatrice Tarpé Mills. Inspirée par le film noir des années 1940, Miss Fury est l’alter ego de la riche Marla Drake, qui enfile une peau de panthère noire pour rendre la justice. On peut penser un peu à Catwoman. Mais Miss Fury n’est pas coincée dans un seul costume, et porte souvent des habits fabuleux, les plus belles pièces de la mode des années 1950. Elle est très consciente de ce qu’elle porte, du sens que cela revêt, que c’est aussi sa manière d’exister.
Toutes les super-héroïnes n’ont pas servi la cause des femmes, et vous prenez l’exemple de Supergirl.
Elle est la cousine de Superman, a les mêmes pouvoirs que lui mais n’en fait jamais vraiment la démonstration, doit garder son identité secrète comme lui mais ça va plus loin que ça. Il insiste pour qu’elle reste dans l’ombre, car le monde a déjà Superman, il n’a donc pas besoin de Supergirl, il n’a pas besoin de connaître son existence.
Les super-héroïnes comme les femmes ont toujours été considérées comme secondaires. Elles ne sont pas aussi « fortes » que les hommes, donc les hommes ont considéré qu’elles étaient faibles. Mais nous ne sommes pas faibles. Et puis Supergirl, Invisible Girl… Cela a été longtemps les « girls », les filles, dans les comics, pas les « women », les femmes.
D’ailleurs, dans Les 4 Fantastiques, le pouvoir de Sue Storm est de devenir… invisible.
Quelle métaphore ! Elle devient littéralement invisible aux yeux de tous et toutes. Stan Lee et Jack Kirby n’en avaient pas forcément conscient, je suis même sûr que non, car c’était l’état d’esprit, et la place des femmes, dans les années 1960. Mais vous avez trois mecs super forts, Mr Fantastique, la Torche Humaine, la Chose, et cette petite fille invisible. Dans les premiers numéros, elle passait même son temps à s’évanouir.
Vous avez été la première femme à dessiner Wonder Woman en 1986, et aviez même participé à la création de Vampirella en 1969.
C’était très important pour moi de dessiner Wonder Woman, car je l’adore, je l’admire. Je voulais rendre hommage à l’âge d’or des comics. Pour Vampirella, c’est différent, je n’ai pas vraiment collaboré à la création du personnage, j’ai juste trouvé son costume. Un costume qui a évolué avec les âges, et pas forcément dans le bon sens. Elle avait de moins en moins de tissu sur elle, le male gaze a pris le dessus. Je n’ai pas aimé ce qu’ils ont fait d’elle, mais je n’avais pas mon mot à dire.
Dans les années 1990, il y a eu la mode du « bad girl art » dans les comics, où les super-héroïnes portaient des costumes très révélateurs, posait dans des postures exagérées… Tout était fait pour satisfaire une partie du lectorat masculin qui n’était pas encore en âge d’acheter son Playboy ou son Penthouse. Elles n’étaient pas admirées pour leurs pouvoirs, leur force, mais uniquement comme des pin-up.
Les super-héroïnes ont dû compter sur l’aide d’auteurs et dessinateurs pour changer les choses, comme Chris Claremont sur les X-Men et le personnage de Jean Grey.
Chris Claremont a été incroyable, il n’a pas arrêté de rajouter des personnages féminins dans ses histoires. Les teams de super-héros n’étaient enfin plus composés que de trois gars et une fille. S’il y avait un nouveau personnage, principal ou secondaire, super-héros ou médecin, il était le premier à immédiatement demander : et si on en faisait une femme ? Ce qu’il a fait avec Jean Grey est à ce titre passionnant, son arc est aujourd’hui l’un des plus connus de l’histoire des comics.
Miss Hulk, Spider-Woman, Jane Foster en Thor… que pensez-vous de ces versions féminines de super-héros iconiques ?
Je préfère toujours que les femmes aient leurs propres personnages qu’une version féminine de super-héros déjà existants. Pourquoi Miss Hulk ? Pourquoi ne pas faire d’elle une super-héroïne à part entière, avec sa propre identité ? Miss Hulk est un peu comme Supergirl. C’est aussi une manière pour l’industrie de tester des femmes en super-héroïnes sans prendre trop de risque. Et je pense aussi que la majorité de ces super-héros féminisés ont été créés par des hommes, ils n’avaient pas la sensibilité féminine.
Beaucoup de gens ont découvert les super-héros par les films et les séries, ces adaptations ont aussi une importance dans la présentation ?
Si l’industrie du comics a toujours été assez conservatrice, que dire que l’industrie du cinéma ? Elle l’est encore plus. Il a fallu attendre tellement d’années et de films pour avoir un film de super-héroïne Marvel par exemple. Mais j’avoue avoir peu vu les derniers films, il s’agit toujours d’une bande de super-héros contre une menace qui veut détruire l’univers, on en fait vite le tour et, moi, j’en suis arrivé au bout. (rires)
Mais le Wonder Woman de Patty Jenkins, avec Gal Gadot, était intéressant, car il revenait sur Themyscira, l’île des Amazones, et se déroulait pendant la Première Guerre mondiale. Après la mort de son créateur William Moulton Marston, on a pu oublier d’où elle venait et cette période, donc c’était un retour aux sources bienvenu. Et magnifique visuellement.
Quelle super-héroïne trouve aujourd’hui grâce à vos yeux ?
La nouvelle Miss Marvel, Kamala Khan, une adolescente musulmane, est formidable. Et pour aller chez la concurrence, chez DC, il y a aussi Harley Quinn la farfelue. Je les aime beaucoup toutes les deux. On peut également citer Squirrel Girl et ses pouvoirs foufous. Je suis assez optimiste pour les futures super-héroïnes, car de plus en plus de femmes travaillent dans le comics, en tant que scénariste et dessinatrice. Elles changent la représentation mais aussi le dessin lui-même. Avant, il y avait une façon de dessiner si tu voulais faire du super-héros. Or, elles redéfinissent ce cadre, les cases du comics.