Affaire Matzneff : Une accusatrice dénonce un certain gâchis dans l’enquête pour viols sur mineurs

Lancée sur les chapeaux de roues, l’enquête sur Gabriel Matzneff semble aujourd’hui patiner pour l’une des accusatrices de l’écrivain. En janvier 2020, le parquet de Paris ouvre une enquête après la publication du récit à charge de Vanessa Springora, « Le Consentement », dans lequel elle raconte la relation dans les années 1980 entre l’adolescente et un homme âgé de près de cinquante ans : elle et l’écrivain.

Un an et demi plus tard, Francesca Gee, dénonce un certain gâchis dans un livre à paraître mardi. Cette journaliste britannique d’origine italienne, qui a principalement travaillé pour l’agence Reuters à Paris, a eu elle aussi eu une relation avec Gabriel Matzneff à l’adolescence, dans les années 1970. Elle connaissait très bien cet homme et ses habitudes. Elle révèle dans son récit sur Gabriel Matzneff, « L’Arme la plus meurtrière », qu’à l’ouverture de l’enquête, le parquet avait mis de gros moyens. Les fonctionnaires de l’Office central de répression des violences faites aux personnes (OCRVP) l’avaient rapidement entendue comme témoin. Un policier lui a confié, début 2020 : « Nous sommes onze au total et trois, quatre, cinq à plein temps sur cette affaire ».

L’enquête s’oriente vers un classement sans suite

Depuis, peu de nouvelles. Francesca Gee sait seulement que les enquêteurs, après avoir saisi chez ses éditeurs toute la littérature publiée par un écrivain âgé aujourd’hui de 85 ans, mènent un travail de bénédictin pour retrouver d’éventuelles victimes plus récentes de son goût pour « les moins de seize ans », comme il avait intitulé un essai de 1974. Ils n’en ont trouvé aucune à ce stade, indiquent des sources judiciaires et policières.

Sauf rebondissement, l’enquête s’oriente, pour cause de prescription, vers un classement sans suite, intervenant dans les prochains mois, d’après une source proche du dossier. Une autre source proche du dossier précise qu’il reste encore des textes à analyser. L’écrivain sera entendu une fois ce travail achevé, mais pas mis en garde à vue, sauf si les enquêteurs trouvent des éléments à lui reprocher.

Francesca Gee avait tenté d’alerter sur l’écrivain en 1994 déjà

Francesca Gee n’est pas surprise, mais triste, de ce dénouement annoncé. « L’enquête est enlisée… Ça ne m’étonne pas. Quand je suis allée témoigner à Nanterre, j’ai tout de suite dit qu’ils ne trouveraient pas de victime ». « Je n’attendais pas grand-chose de l’enquête pénale parce que je savais très bien que ça faisait des années soit que Matzneff ne faisait rien, soit, en tout cas, qu’il ne le racontait plus », ajoute-t-elle.

Le récit de Francesca Gee, autopublié, n’a pas trouvé d’éditeur. Au sujet du fonctionnement de Gabriel Matzneff, il apporte pourtant un complément utile à celui de Vanessa Springora aux éditions Grasset. Ni l’une, ni l’autre n’a porté plainte. Mais « il y a eu de multiples plaintes, sans doute des dizaines. Je ne sais pas combien, mais énormément de parents ont porté plainte », d’après l’ancienne journaliste. « Et il a bénéficié de soutiens qui pour moi restent incompréhensibles ».

Par deux fois, en 1994 et 2004, celle qui se définit comme « lanceuse d’alerte » a tenté de faire éclater l’affaire, en présentant des manuscrits à des éditeurs. Elle s’est heurtée, pour des raisons qu’on ne lui a jamais bien explicitées, à des refus qu’elle raconte dans « L’Arme la plus meurtrière ». Le récit décortique la personnalité d’un homme qui a subi l’opprobre sur le tard, mais qui est encore aujourd’hui soutenu par quelques mécènes jaloux de leur anonymat. « D’après moi, rien n’a changé. Qu’est-ce qui a changé pour lui ? Il ne vit plus dans le 5e [arrondissement de Paris], il vit en Italie, et il y a des gens qui paient pour ça », souligne-t-elle.

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